LES FARDEAUX DE MILICA KOJCIC

Dans le large éventail de la création picturale contemporaine, Milica Kojcic nous apparaît comme un représentant de l'approche traditionnaliste de la peinture. De par sa structure formelle, mais surtout métaphysique, son œuvre se distingue cependant par certaines caractéristiques propres. En parlant de la forme, il s'agit d'une sobriété extrême, réduite au simple dessin, aux formes qui s'apparentent aux représentations familières de la nature. Séparément ou en groupe, les étranges silhouettes sont placées dans des décors neutres, aux couleurs discrètes, qui renferment des espaces mystérieux.

D'autre part, ce mode d'expression si ascétique renferme en soi des messages cachés. Si l'on s'aventure dans le décryptage de ses œuvres, on pourra conclure que les idéogrammes de Milica Kojcic – ses représentations des humains et des animaux – témoignent d'une certaine ascèse de l'artiste. En retrait par rapport aux impressions quotidiennes provoquées soit par des rencontres avec différents caractères humains, soit par la splendeur de la nature, dans l'ascétisme de son atelier elle réfléchit aux relations spirituelles entre l'être humain et la vie moderne. Pendant cette réflexion apparaissent comme détails importants les fardeaux, visibles et invisibles, moins comme charge physique mais plutôt comme poids spirituel et moral – telles les injustices sociales, l'aliénation, l'agressivité outrancière du consumérisme contemporain.

En fait, l'artiste nous démontre son engagement en faveur du monde invisible des valeurs spirituelles refoulées, dans lequel les archétypes historiques de l'inconscient collectif dérangent, mais en même temps enrichissent notre conscience par rapport aux valeurs mystérieuses de notre existence sur cette terre, les traduisant en beauté ou en vérité. Face au dilemme que pose le choix entre la beauté et la vérité, de toute évidence elle choisit l'angoissante vérité. En ce qui concerne le langage utilisé, on pourrait dire qu'il se rapproche d'une certaine façon de celui connu depuis le néolithique. Notamment, si les représentations de la femme aux attributs accentués de la maternité font penser à la Vénus de Willendorf, l'œuvre globale rappelle Altamira: tel l'homme des cavernes qui laissa un témoignage sur son existence et sur ses croyances dans ses dessins, de même Milica Kojcic par son symbolisme suggestif, pourrait-on dire, laisse des messages codés sur notre époque à certaines générations futures.

Sur un plan plus large, européen, la peinture de Milica Kojcic peut être classifiée comme une variante du surréalisme contemporain, sachant que le vrai champ de son intérêt et de son expression créative reste le voyage sans entrave de l'imagination dans les régions inexplorées du subconscient, donc – l'ésotérisme. En ce sens, à la différence de la sérénité méditerranéenne et de la sensibilité aux valeurs esthétiques familières au pays, la poétique de son œuvre est sans doute légèrement assombrie par la mentalité occidentale inquiète, dont émanent le défaitisme et le scepticisme.

Sur un plan plus étroit, national, la vision de l'artiste apporte à la peinture serbe une nouvelle tonalité sombre et profonde, qui met en lumière l'existence dissimulée des peurs ataviques du peuple serbe.

En tout état de cause, par sa poétique personnelle spécifique, Milica Kojcic nous apparaît, en ces temps d'angoisse, comme un combattant spontané pour l'affirmation du monde indestructible de la beauté spirituelle.