OLIVERIN TEXTE

La perception critique du temps et de l'entourage, vue par le prisme de l'œuvre artistique, n'a souvent pas un visage plausible. L'écho des messages ainsi transmis a depuis toujours été puissant, résonnant durant plusieurs siècles. Le Pays de Cocagne de Brueghel ou bien le Jardin des délices de Bosch ne sont que deux peintures de l'histoire de l'art, dans ce cas prises comme paradigme de la relation citée préalablement, et qui aujourd'hui encore provoquent de fortes réactions. Cette espèce de dialogue que les artistes à travers leur œuvre mènent avec le temps passé/présent et avec les manifestations qu'il véhicule, donne à l'art ce qui est aujourd'hui appelé un caractère « engagé ». Portée par de telles considérations, qui en même temps coïncident avec sa propre sensibilité, Milica Kojcic a également choisi de prendre dans le moment présent le motif pour construire sa propre poétique qui apporte un jugement moral sur les anomalies sociales. L'attitude engagée de son art trouve son point d'ancrage dans la vie de tous les jours, dénudée jusqu'à son essence. A travers son œuvre elle donne sa propre expérience du « vécu-interprétation » de certains phénomènes de société, non pas dans le but de les reproduire, mais de traiter un phénomène donné d'une manière sarcastique par l'intermédiaire de la peinture, en insistant sur la dimension psychologique de l'œuvre.

L'univers artistique entier de Milica Kojcic est imprégné par son inquiétude pour l'être humain, qui est également la figure centrale de ses compositions. Qu'il soit seul, en groupe ou entouré d'animaux, chacun de ses personnages est porteur d'un climat social donné. C'est un monde particulier de silhouettes qui, même en mouvement, ont l'air statiques, voire même momifiées, en tant que manifestations d'un état d'âme généralisé d'une société orientée vers l'hédonisme, où sont menées des vies de laisser-paraître vidées de sens. Les physionomies déformées rajoutent davantage encore un supplément d'anxiété, mais comme telles possèdent la spontanéité de la communication. Muettes et intemporelles, les représentations imposent inexorablement un sens sous-entendu à l'œuvre artistique comme élément crucial lors de son analyse, ce qui exige de l'observateur une lecture contextuelle de leur sens. Les états d'âme lugubres trouvent leur reflet dans ces silhouettes, dont l'apparence laisse paraître des analogies avec la mythologie slave et les contenus fantastiques repris à la littérature.

Toutes les œuvres de Milica sont porteuses de messages. Elle affectionne les surfaces larges, imposantes par leur monumentalité. La multiplication des formes couplée avec le grand format des tableaux contribue également à cette impression de monumental, qui inévitablement amène le souci de la composition, de la disposition des figures sur le tableau et de leurs relations respectives. La perspective est consciemment négligée par le souci de réduire la peinture à une surface peinte aux deux dimensions et à sa signification symbolique. La grise dominante, comme métaphore de l'abattement, est en symbiose avec la bleue dépeignant le grand abîme et le vide, tandis que l'aspect fantomatique de la blanche et l'occasionnelle présence d'accents rouges soulignent l'effet d'interaction des surfaces installées pour créer un contraste. De toute évidence, les couleurs sont harmonisées en relations simples et strictes dont la fonction est de structurer la composition. En même temps, l'échelle des couleurs utilisées comprend une suite des significations différentes, en partant des picturales et en arrivant aux psychologiques, le dégradé subtil des nuances à l'intérieur d'une surface renforçant ou atténuant l'intensité des couleurs afin d'atteindre l'effet escompté. Certains travaux témoignent d'un souci pour la facture, mais en insistant toujours sur les formes stables et définies, car ce sont elles qui soutiennent l'architecture de la composition. Il ne faut pas non plus négliger le rôle des titres (Repentance, Les gens et les fardeaux, La culpabilité et la justice, L'exercice global etc.), qui d'une manière très suggestive participent à la perception de l'œuvre. De temps à autre apparaissent les réminiscences des thèmes bibliques, qui posent des nouvelles situations picturales où la forme est plus accentuée, mais ces tableaux avec les autres forment un ensemble homogène.

Les problèmes sociaux dont se préoccupe Milica sont très directement exprimés déjà dans les titres des œuvres. Ils peuvent être repérés dans le contenu contextuel de manière palpable sur chaque composition. Un des sujets prédominants dans l'œuvre de Milica est le sujet des Gens et des fardeaux. La complexité de ce sujet peut être observée à plusieurs niveaux, le plus visible étant le fardeau physique apparaissant sur le dos. Parfois la charge est représentée par un autre personnage, parfois il a la forme d'un ballot, et il y a des situations où le fardeau n'est pas visible à l'œil nu. Les personnages sont souvent courbés sous le poids des fardeaux, mais ils ne tombent jamais, car l'instinct de survie l'emporte. Toutes ces représentations sont dépersonnalisées, le niveau personnel est évité et tout est transposé vers une problématique générale, collective ou universelle. Sur le plan pictural, l'artiste résout cette question en utilisant des surfaces monochromes, qui ont le rôle de support de la composition, avec une absence de détails qui pourraient donner un caractère personnalisé à la composition. C'est justement un fond unifié qui est un des moyens expressifs de la peinture qui permet d'éviter de dater l'action représentée, ce à quoi l'artiste aspire. La compacité chromatique, entre autre, donne à la représentation un caractère universel, intemporel, car les sujets que traite Milica ne sont pas caractéristiques uniquement pour notre époque. Les compositions avec une autre motivation contextuelle, comme le sujet La culpabilité et la justice sont également créées sur le même principe, où les niveaux pictural et contextuel sont en totale symbiose, ce qui donne au tableau une plénitude accomplie. Un des accessoires incontournables sur ces tableaux est la balance. En utilisant les objets qui par leur signification font directement allusion au message du tableau, l'auteur souligne davantage encore l'histoire, et le dénominatif commun de l'opus créatif entier de Milica Kojcic est qu'il est porteur de messages explicites. Ses peintures proposent la vérité, tranchante et claire, ce qui ne fait que confirmer la pensée de Cézanne mentionnée plus haut.